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Par Lyonel Trouillot, 13 septembre 2020
S’iI revient à la personne qui accuse de prouver la culpabilité de l’accusé (la présomption d’innocence est un principe juste et nécessaire) les questions de justice se posent dans des cadres sociaux. Dans la réalité des rapports de domination à l’intérieur de la société haïtienne, et les milieux culturels n’y échappent pas, les femmes sont soumises à des violences physiques, sexuelles, symboliques, et il leur est difficile de les dénoncer et de se défendre contre ces violences. Lorsque certaines d’entre elles osent le faire, c’est souvent banalisé, et il arrive qu’elles subissent des pressions. Dans de tels contextes, et c’est une vérité avérée dans des sociétés où les droits des femmes sont pris plus au sérieux qu’ici, l’argument imbécile et résolument masculin de la dénonciation qui vient tardivement, ne tient pas. Quel homme peut-il prétendre savoir combien de temps il faut à une femme pour s’avouer à elle-même qu’elle a été violée et pour ensuite l’avouer publiquement et oser dénoncer son agresseur ! Des femmes sont allées jusqu’à vivre avec leurs violeurs avant de trouver le courage de les dénoncer. L’argument est irrespectueux, immodeste. (On s’étonne qu’un brave professeur se réclamant de la philosophie ait pu l’utiliser.)
Il est temps qu’on arrive à cet âge de progrès social où des femmes osent dénoncer de tels actes si elles estiment en avoir été victimes sans subir de pressions, encore moins de pressions émanant directement du pouvoir politique. Pour le reste il reviendra à la justice de décider au cas par cas. Et ce sera à l’accusation de faire la preuve de la culpabilité, non à l’accusé, Dangelo Néard ou Pierre ou Paul, de faire la preuve de son innocence.
Ce sur quoi je me prononce en tant que citoyen, et sans le moindre tremblement, c’est la lettre aux accents fascistes et misogynes du ministre de la Culture dans laquelle il dit venir au secours de son « collègue et ami », demande à la justice de sévir contre des femmes se disant victimes d’abus sexuels, les traite de « gangs de faussaires », de « délinquantes », (et pourquoi pas terroristes ?) les accuse de constituer un « laboratoire » financé par des sources obscures dans le but de « créer toutes sortes d’instabilités politiques ». Et la tendre berceuse, ô combien infantilisante, chantée par le ministre à l’oreille du Directeur général de la BNH, « Dormez en paix mon ami et collègue », n’est pas sans rappeler François Duvalier affirmant que « tout milicien est mineur », placé en conséquence sous son autorité et bénéficiant de sa bénédiction. Le ministre de la culture serait-il la justice ?
Cette lettre est sans doute un glissement né d’une saute d’humeur. Ses effets n’en sont pas moins terribles. Quand un ministre écrit en tant que ministre, c’est la position du gouvernement dont les membres sont solidaires qu’il exprime. Voilà donc que Dangelo Néard est présenté comme un ami du pouvoir que le pouvoir défend en tant que tel. Premier cadeau empoisonné. Avec de tels amis, on n’a pas besoin d’ennemis. Voilà ensuite qu’un membre du pouvoir exécutif demande aux fonctionnaires placés sous ses ordres de poursuivre ces femmes du « laboratoire » pour au moins deux raisons : elles ont attaqué un ami à lui et elles contribuent à « créer toutes sortes d’instabilités économiques et politiques ». Ce « laboratoire de femmes » pouvant ainsi être considéré comme un ennemi politique qui déstabilise. On peut conclure que c’est une action politique que de venir au service de Dangelo Néard, et c’est donc à exercer une répression politique contre ces agentes de « déstabilisation » que le ministre appelle la police nationale et le personnel de la justice. « Ayons ces dames à l’œil », dit le ministre. La menace est claire. Et sachant que des menaces directes ont été exercées contre des femmes dans cette affaire, on peut considérer tous ceux qui y participent comme obéissant aux ordres du pouvoir.
Deuxième cadeau empoisonné. L’amalgame est assassin pour Dangelo Néard comme pour le pouvoir. Un lien donc, selon le ministre, entre des fauteurs de trouble sur le plan politique, d’éventuels semeurs de désordre qui veulent avilir des personnalités et ce « laboratoire de femmes » qui transporte de telles pratiques sur le terrain des abus sexuels. Le ministre vient ainsi de donner une dimension pétrocaribesque à une affaire d’accusation de viol. Car, si selon le ministre il convient de lier les accusations portées par ces dames à une pratique de déstabilisation, on peut aussi bien lier la parole du ministre aux pratiques du gouvernement qui consistent à faire obstacle à toutes les demandes de justice. A la liste des « kamoken »(comme au bon temps de Duvalier) qui demandent procès Petro Karibe, procès pour les massacres… dans le but déstabiliser, voilà que vient s’ajouter une cellule, « le laboratoire de femmes » qui s’en prend à un proche du pouvoir, encore pour déstabiliser. Or l’argent de Petro Karibe a bien disparu, il y a bien eu des massacres… Le pouvoir Jovenel Moïse/PHTK a érigé en principe le mensonge et le déni de justice. D’habitude si le pouvoir le dit… En politisant cette affaire, en l’incluant dans un ensemble, le ministre a lui-même contribué à alimenter la suspicion. Vraiment, avec de tels amis on n’a pas besoin d’ennemis.
Voilà enfin, et ce cadeau empoisonné n’est pas fait qu’à Dangelo Néard mais à l’ensemble de l’exécutif, qu’un représentant de l’exécutif stigmatise une catégorie genrée de criminels, « un laboratoire de femmes ». Même aux heures terribles des histoires de peuples, on a rarement entendu un ministre assumer pareil discours. Un laboratoire de femmes ! Le ministre souhaiterait-il une sorte de « rafle contre les femmes indésirables » ? Et la misogynie va encore plus loin. Ce laboratoire de femmes, même cela elles ne peuvent le faire seules, a des « auteurs intellectuels et des bailleurs financiers ». Ces « délinquantes » sont portées par des « scélérats ». Ces femmes sont donc des subalternes au service de forces orbscures… « Kamokines » à la solde de « kamokens ».
An bon kreyòl Pradel Henriquez mande arete fanm ki di yo fè kadejak sou yo kòm kamoken!
Ce sont de tels propos qui font parler de « culture du viol ». Et dans ce pays le viol est une réalité dans tous les milieux sociaux. La politique d’un gouvernement responsable devrait consister à le combattre. Le secteur culturel devrait dans sa totalité condamner les propos du ministre. Ces propos fragilisent ou visent à fragiliser les femmes qui, dans ce milieu comme dans les autres milieux, sont victimes de violences et de dénigrements. Et comment après avoir dit de telles ignominies le ministre pourra-t-il discuter avec les femmes du secteur qu’il est censé comprendre, servir et aider à se développer ! Fera-t-il un tri en fonction des résultats menés par une police politique pou déterminer qui appartient ou pas au « laboratoire » ? Il n’en restera peut-être qu’une à trouver grâce à ses yeux, la ministre à la condition féminine si elle n’a pas la décence de démissionner après les horreurs écrites par son collègue.
PS Je n’ai pas émis de commentaire sur la personnalité ni la vie du ministre Henriquez.. Mon commentaire porte sur un acte public qu’il a posé dans l’exercice de ses fonctions. J’espère que s’il doit y avoir une réaction de sa part, elle portera sur cet acte public et non sur autre chose.